Actualisé le 31:05:2023 09:10

Avis scientifiques
Gabriel Ullmann
Réglementation et sécurité
des installations clasées
Gabriel Ullmann
Docteur-ingénieur chimiste, docteur en droit.
La certification en voie de disparition ?
Le décret du 19 août 2021 met à mal la certification délivrée aux bureaux d’études. Gabriel Ullmann s’inquiète ici de la baisse progressive et drastique de l’obligation de contrôle par l’État engageant la sécurité des installations classées.
Publié le 09/09/2021
Trois types d’agrément ou de certification de bureaux d’études sont prévus dans le code de l’environnement, afin de vérifier, à la place de l’administration (comme, par exemple, pour les contrôles techniques des véhicules), la bonne application de normes réglementaires qui s’imposent lors de l’exploitation de certaines installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) ou lors de leur cessation d’activité. Or, au fur et à mesure du temps, ces exigences en matière de certification s’étiolent.
Accréditation et agrément en 2008 :
cas du contrôle périodique des ICPE soumises à déclaration
En application de l’article 65 de la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement (dite loi "Barnier ") [1], il a été institué pour certaines ICPE, soumises à déclaration, l’obligation de contrôles périodiques par des organismes tiers. L’article L. 512-11 du code de l’environnement[2] édicte que les installations concernées, définies par décret en Conseil d'État en fonction des risques qu'elles présentent, peuvent être soumises à des contrôles périodiques "permettant à l'exploitant de s'assurer que ses installations fonctionnent dans les conditions requises par la réglementation".
Ces contrôles sont effectués aux frais de l'exploitant par des organismes tiers agréés. La périodicité du contrôle est de 5 ans au maximum ; le premier contrôle devant être réalisé dans les six premiers mois suivant la mise en service des installations nouvelles. L’objectif poursuivi est de responsabiliser l’exploitant sur le niveau de conformité de son installation. Sauf circonstances particulières (telles que des non-conformités majeures non traitées par l’exploitant), l’administration n’a pas connaissance des rapports de contrôle qui sont seulement tenus à sa disposition dans l’installation.
Il a fallu attendre onze ans pour que le système de contrôles périodiques soit rendu effectif par le décret d’application n° 2006-435 du 13 avril 2006[3]. Les installations mises en service avant le 30 juin 2008 devaient donc avoir réalisé leur contrôle avant le 30 décembre 2008. Puis le décret n° 2009-835 du 6 juillet 2009[4] a encore reporté cette échéance (lobby oblige).
Au final, après la loi il aura fallu près de 20 ans pour qu’aient lieu les premiers contrôles de certaines activités ICPE soumises à déclaration, et encore portant seulement sur le respect de quelques dispositions de leur arrêté d’exploitation… C’est ce qu’on appelle une politique ambitieuse en matière d’environnement.
Malgré cette situation, déjà on ne peut plus démonstrative, les premiers bilans nationaux des contrôles périodiques réalisés ont permis de constater le très faible nombre d’établissements qui ont fait l’objet de ces contrôles, en regard du nombre concerné. Et parmi ceux-ci, le taux de conformité était d’à peine 2,5 % pour l’ensemble des sites. La circulaire du 21 mars 2013[5], dresse à son tour un constat pour le moins alarmant, à savoir : "Peu de contrôles périodiques sont réellement effectués par rapport à la potentialité des installations concernées. (…) Ainsi, certaines activités recensées en nombre important (…) sont sous-représentées en pourcentage de contrôles réalisés".
Afin de contourner la faible, mais utile, contrainte des contrôles périodiques, plusieurs pratiques sont apparues. Parmi lesquelles, supprimer purement et simplement cette obligation lors d’une modification de texte (cas de l’élevage bovin par exemple)… ou ne pas la respecter (cas général : le cas de Normandie Logistique dans l’affaire Lubrizol en 2019 est emblématique)[6]. Tout récemment encore, à la suite de l’explosion mortelle dans le port de Beyrouth du 4 août 2020, due à un stockage d’ammonitrates (utilisés comme engrais), le rapport d’inspection sur la gestion de ces risques dans les ports français[7] confirme, si besoin était, la situation délétère qui prévaut. Outre l’interrogation portée par les rapporteurs sur "l’utilisation [en France] des ammonitrates à haut dosage comme engrais, dans la mesure où plusieurs pays, y compris européens, l’ont interdit", ils soulignent, à leur tour, le fait que "les obligations de contrôle des très nombreuses installations de stockage soumises à déclaration ne sont souvent pas respectées".
Si peu d’exploitants respectent ces obligations, sans grande conséquence d’ailleurs[8], en revanche l’exigence reste forte en ce qui concerne les prestataires qui effectuent ces contrôles périodiques : ils doivent être accrédités puis agréés par les pouvoirs publics. L’arrêté du 29 août 2008[9], fixant le contenu de la demande d'agrément, exige notamment non seulement d’indiquer la liste des rubriques de la nomenclature des installations classées pour lesquelles l'agrément est demandé, mais également de justifier l'attestation d'accréditation couvrant les rubriques visées, délivrée en France par le Comité français d'accréditation (COFRAC). Exigence supplémentaire très importante : devoir justifier également "le niveau d'indépendance au sens de la norme NF EN ISO/CEI 17020[10]. A ce titre, les activités de conseil, d'étude ou d'assistance technique relatives à des montages de dossiers administratifs d'installations classées soumises à déclaration sont considérées comme étant des activités incompatibles au titre des critères d'indépendance définis pour les organismes d'inspection de type A.". Le ministère chargé de l’environnement procédera ensuite à l’agrément ou non du prestataire, pour tout ou partie des rubriques sollicitées pour les activités ICPE correspondantes.
L’accréditation, plus exigeante, n’est pas la certification
L’accréditation est une procédure par laquelle une autorité reconnait qu’un organisme ou un individu est compétent pour exécuter certaines tâches. L’accréditation concerne uniquement les prestataires qui réalisent des prestations de contrôle (laboratoires d’essais et d’étalonnages, organismes de vérification, de contrôle, organismes de certification ou de qualification), dès lors qu’ils souhaitent faire reconnaître leurs compétences en la matière.
Accréditation et certification n’interviennent donc pas au même niveau. Si la seconde est délivrée par des organismes de contrôle appelés communément organismes de certification, la première est du ressort des organismes d’accréditation (un seul en France) dont la mission est de contrôler, en amont, ces organismes de contrôle. L’accréditation ne s’applique pas aux produits ou installations, contrairement à la certification.
La certification est une reconnaissance de conformité à un référentiel normatif. Elle permet d’établir, au regard d’exigences spécifiées, la conformité de produits et de services (agriculture biologique, label rouge, certification NF[11], etc.), de systèmes de management (ISO 9001, ISO 14001, etc.), ou de personnes (contrôleurs, auditeurs, diagnostiqueurs immobiliers, etc.).
Si l’accréditation reste difficile à obtenir et dépend en France d’une seule autorité, le Comité français d’accréditation (COFRAC), les certifications sont souvent très aisément accordées, car elles font notamment l’objet d’un marché très concurrentiel entre les différents certificateurs[12], ce qui pousse à niveler par le bas les exigences (certains certificateurs demandent ainsi à leurs auditeurs à ne pas mettre de non-conformités aux clients audités, afin de ne pas entraver leur certification).
L’agrément : une autorisation délivrée par les pouvoirs publics
L’agrément (ici ministériel) est une autorisation administrative nécessaire pour l’exercice d’une activité sous contrôle règlementaire. L’agrément autorise ainsi un organisme à réaliser certaines prestations dans le cadre notamment de contrôles spécifiques. Il peut être retiré à tout moment en cas de manquement.
En résumé, par l’arrêté ministériel précité de 2008, les organismes de contrôles périodiques de certaines ICPE soumises à déclaration doivent être accrédités, puis agréés et doivent justifier de leur indépendance par rapport à tout montage de dossiers administratifs d'installations classées soumises à déclaration. Mais cette exigence forte ne sera plus reconduite dans les textes ultérieurs publiés, lesquels ne concerneront et ne vérifieront que le respect d’autres obligations légales, pourtant importantes, en matière d’ICPE. Les textes vont même devenir de plus en plus laxistes sur l’obligation de recourir à des bureaux d’études dûment habilités et indépendants.
Plus d’agrément mais une certification en 2014 : cas du changement d’usage des terrains ayant accueilli une installation classée mise à l'arrêt définitif
La loi n°2014-366 du 24 mars 2014[13] modifie l’article L. 556-1 du code de l’environnement en instaurant l’intervention d’un bureau d’études certifié. Ainsi, sur les terrains ayant accueilli une installation classée mise à l'arrêt définitif et régulièrement réhabilitée pour permettre un usage défini, lorsqu'un usage différent est ultérieurement envisagé (par exemple, faire d’une ancienne zone industrielle un terrain à lotir ou bien une zone récréative), le maître d'ouvrage à l'initiative du changement d'usage doit définir des mesures de gestion de la pollution des sols et les mettre en œuvre afin d'assurer la compatibilité entre l'état des sols et la protection de la sécurité, de la santé ou de la salubrité publiques, l'agriculture et l'environnement au regard du nouvel usage projeté.
Le maître d'ouvrage doit alors faire attester de la prise en compte de ces mesures par un bureau d'études certifié dans le domaine des sites et sols pollués, conformément à une norme définie par arrêté du ministre chargé de l'environnement[14], ou "équivalent".
L’exigence nouvelle de recourir à un organisme certifié est à souligner. Mais, alors que les mesures concernées peuvent être graves de conséquences, l’accréditation et l’agrément préalables ont été supprimés au profit de la seule certification des bureaux d’études, avec des niveaux d’exigences bien moindres en matière de qualification et d’indépendance, comme nous l’avons exposé précédemment. De surcroît, personne ne sait ce que peut recouvrir précisément un "équivalent" de norme pour les bureaux d’études qui y recourraient.
Une certification facultative en 2021 : cas de la mise en sécurité et réhabilitation de sites ICPE
Si la loi du 7 décembre 2020 d’"accélération et simplification de l’action publique" (dite loi ASAP) comporte de nombreuses mesures de régression environnementale[15], elle introduit néanmoins quelques dispositions favorables. Notamment en son article 57 portant sur "diverses dispositions relatives aux sols pollués et à la cessation d’activité des installations classées pour la protection de l’environnement". En vertu de cette disposition : "l'exploitant fait attester, par une entreprise certifiée dans le domaine des sites et sols pollués ou disposant de compétences équivalentes en matière de prestations de services dans ce domaine, de la mise en œuvre des mesures relatives à la mise en sécurité ainsi que de l'adéquation des mesures proposées pour la réhabilitation du site, puis de la mise en œuvre de ces dernières. Un décret en Conseil d'État définit les modalités d'application du présent alinéa".
Conformément à la loi, le décret n° 2021-1096 du 19 août 2021[16] modifie le code de l’environnement pour la fin de vie d’une ICPE soumise à enregistrement ou à autorisation, ainsi que pour de nombreuses ICPE soumises à déclaration (listées à l’article 18 du décret). Le champ d’action est donc vaste. Pour les cessations déclarées à partir du 1er juin 2022, l’exploitant devra faire attester de la mise en sécurité puis de l’adéquation des mesures proposées pour la réhabilitation du site et de la mise en œuvre de la remise en état, par une entreprise certifiée ou "disposant de compétences équivalentes en matière de prestations de services dans ce domaine".
Là encore le dispositif doit être salué en soi. Mais en même temps, il est fortement amoindri par d’autres dispositions. S’il ne s’agit plus, cette fois encore, d’accréditation et d’agrément, mais de certification, cette dernière est devenue maintenant facultative. Le prestataire pour attester des travaux de mise en sécurité et de réhabilitation n’aura plus automatiquement l’obligation (déjà minimale) d’être certifié. Il pourra simplement disposer de "compétences équivalentes en matière de prestations de services dans ce domaine". Sans que l’on sache ce que l’on entend par des compétences équivalentes et qui va s’assurer de la qualité de la prestation déjà opérée par le passé par le prestataire… en dehors peut-être de la loi du marché.
L’expérience montre que les exploitants ne sont pas toujours enclins à faire preuve de zèle dans un domaine aussi coûteux, alors même que leur activité a déjà pris fin. Le recours à un prestataire compréhensif leur est parfois bien utile. D’autant plus qu’en cas de pollution résiduelle, à la suite des travaux incomplets de réhabilitation, elle ne se fera jour qu’après un temps très long, à un moment où la société exploitante n’aura peut-être plus d’existence juridique. En cas de besoin, il sera en outre aisé de produire une attestation de bonne exécution des travaux réalisés en conformité avec la loi. Le décret ASAP a notamment pour finalité de tenter de remédier à la génération de nouveaux sites "orphelins" pollués, dont le coût de réhabilitation reste à la charge de la collectivité. Si le texte apporte une amélioration à cette situation, il n’est cependant, à nouveau, pas à la hauteur de cette problématique. Et ce, d’autant plus à cause des contre-mesures qu’il contient, comme nous venons de le souligner. Les pouvoirs publics s’agitent sur place pour renforcer les mesures environnementales, quand ils accordent, souvent en même temps, de nombreux accommodements, reports, allègements, dérogations, etc.
Tant qu’on ne sortira pas du modèle de société dans lequel on privatise les profits et on externalise les impacts et leurs coûts sur la collectivité… on ne s’en sortira pas.
Docteur en droit, docteur-ingénieur, Gabriel Ullmann a été vérificateur environnemental, accrédité COFRAC et agréé par le ministère de l’environnement, ancien responsable d’audit de certification ISO 14001 durant huit ans.
Notes :
[1] NDLR. Loi n°°95-101 du 2 février 1995 :
https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000551804/
[2] NDLR. Code de l’environnement :
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGITEXT000006074220/
[3] NDLR. Décret n° 2006-435 du 13 avril 2006, fixant les modalités du contrôle périodique de certaines catégories d'installations classées soumises à déclaration : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000791241/
[4] NDLR : Décret n° 2009-835 du 6 juillet 2009, relatif au premier contrôle périodique de certaines catégories d'installations classées soumises à déclaration : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000020828245/
[5] NDLR. Circulaire du 21 mars 2013 relative aux thèmes d’actions nationales de l'inspection des installations classées et de prévention des risques anthropiques pour l'année 2013 :
https://aida.ineris.fr/consultation_document/24247
[6] Pour plus de détails, voir ma série d’articles : Les installations classées pour la protection de l’environnement soumises à déclaration : l’antithèse de la protection de l’environnement (1, 2 et 3/3) :
NDLR. Voir également l’article de Laurent Radisson, Accident Lubrizol : comment les services de l'État ont failli dans leur mission de contrôle :
et également l’article Lubrizol : un an après, les interrogations demeurent :
[7] Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), Gestion des risques liés à la présence d’ammonitrates dans les ports maritimes et fluviaux, publié le 17 juin 2021 :
http://www.cgedd.developpement-durable.gouv.fr/gestion-des-risques-lies-a-la-presence-d-a3091.html
NDLR. Voir aussi l’article de Laurent Radisson, Ammonitrates : une mission pointe de graves insuffisances dans les ports fluviaux et en agriculture :
[8] L’amende encourue pour le défaut de contrôle périodique est de 1 500 euros, soit moins que le coût du contrôle, et surtout bien moins que toute mesure que l’exploitant risquait de devoir mettre en œuvre…à la suite dudit contrôle.
[9] Arrêté du 29/08/08 fixant le contenu de la demande d'agrément pour effectuer le contrôle périodique de certaines catégories d'installations classées soumises à déclaration : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000019564722/2021-06-28 ou https://aida.ineris.fr/consultation_document/4473
[10] NDLR. Norme NF EN ISO/CEI 17020 :
https://www.iso.org/fr/standard/52994.html
[11] NDLR. Marque collective de certification NF, délivrée par Afnor Certification : https://marque-nf.com/ ou
https://www.afnor.org/presse_dec2017/certification-nf-aide-precieuse-consommateur/
[12] Ceci est le cas très général de la certification. Dans le domaine des sols pollués, jusqu’alors seul le laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE) était habilité en France à délivrer la certification (car seul à avoir effectué la démarche). D’où la fronde de la profession qui, suite à ses recours, a conduit le Conseil d’État, le 21 juillet 2021, à annuler non seulement l’arrêté du 19 décembre 2018 du ministre chargé de l'environnement et du ministre chargé de l'économie, fixant les modalités de la certification prévue aux articles L. 556-1 et L. 556-2 du code de l'environnement, ainsi que le modèle d'attestation (annulation qui prend effet le 1er mars 2022), mais aussi la modification de la norme NF X 31-620 Qualité du sol – prestations de services relatives aux sites et sols pollués. (NDLR. Voir l’article Installations classées : la nouvelle procédure de cessation d'activité en vigueur le 1er juin 2022 de Laurent Radisson :
Il va sans doute en résulter, dans le cadre d’un meilleur consensus entre tous les professionnels, la présence de plusieurs certificateurs.
[13] Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (art. 173) :
https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000028772256/
[14] Norme NF X 31-620 du 1e juin 2011, Qualité du sol – prestations de services relatives aux sites et sols pollués :
[15] Voir notamment la série d’articles Le summum (provisoire) du démantèlement du droit de l’environnement : la loi ASAP (1 et 2/2) :
[16] NDLR. Décret n°2021-1096 du 19 août 2021 :
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043950145
La loi ASAP :
Le summum (provisoire) du démantèlement
du droit de l’environnement.
de mise en danger délibérée de l’environnement :
un substitut étique au crime d’écocide
Les ICPE soumises à déclaration :
l'antithèse de la protection de l'environnement.